Réseau européen de réflexion géopolitique/European network of geopolitical thinking
|
|
|
Documents
Jean-Paul Baquiast
Domingo, 22 de Abril 2012
L'Agence américaine pour la Sécurité Nationale (NSA) est le plus gros organisme au monde entièrement dédié à l'espionnage. L'Agence vise potentiellement tous les individus, toutes les organisations et tous les échanges existants. Initialement conçue pour cibler les seules menaces identifiés à la sécurité des Etats-Unis, sécurité intérieure et sécurité extérieure, mais devant l'impossibilité de distinguer menaces avérées et menaces possibles, la NSA a pris la décision d'enregistrer tout ce qui est techniquement enregistrable. Elle pourra ainsi, affirme-t-elle, faire apparaître des menaces encore invisibles en étudiant sans restrictions l'ensemble des activités apparemment innocentes.
On devine qu'avec le développement exponentiel des outils informatique et de communication dans la société mondiale de l'information, la tâche consistant à tout enregistrer et tout analyser est d'ores et déjà immense. Elle ne cessera pas d'augmenter. Mais qu'importe, ont décidé les responsables de la NSA. Les ressources de l'informatique et de l'intelligence artificielle peuvent faire face à l'explosion des trafics et transactions. Il suffit d'augmenter sans restrictions budgétaires ni humaines les moyens affectés à la mission de la NSA.
Ceci a été entrepris depuis déjà de longues années. Le cerveau central visible de cet édifice, un des sommets de l'iceberg, est en cours d'installation dans la ville de Bluffdale, dans l'Utah. Les ressources dont la NSA disposera ainsi dépasseront en puissance, semble-t-il, tous les moyens analogues dont sont dotés tous les gouvernements et toutes les entreprises du monde.
Évidemment, il s'agit de projets soumis à un strict secret. Dans une entreprise aussi gigantesque, des fuites se produisent nécessairement. L'écrivain et enquêteur américain James Bamford en a donné une description dans un article en date du 15 mars 2012 de la revue libérale Wired, qui mériterait plus d'attention qu'il n'en a reçu en Europe
voir The NSA Is Building the Country's Biggest Spy Center (Watch What You Say,
James Bamford est l' auteur d'un précédent ouvrage à succès décrivant la NSA et son rôle dans le système des pouvoirs américains: « The Shadow Factory: The Ultra-Secret NSA from 9/11 to the Eavesdropping on America ». Son travail, on le devine, ne lui a pas fait que des amis. Mais on trouve encore assez de contre-pouvoirs dans la démocratie américaine pour qu'il soit encore en vie et reste autorisé à publier. Cette tolérance ne durera peut-être pas. D'où l'intérêt qui s'attache à l'étude de son article.
Il confirme ce que soupçonnaient déjà ceux qui étudient les moyens par lesquels le complexe militaro-industriel et politique américain a dominé le monde jusqu'à ces dernières années. Certains observateurs optimistes pensent que la puissance de ce complexe s'affaiblit aujourd'hui, du fait de l'émergence de systèmes de domination analogues dans d'autres parties du monde, notamment en Chine. C'est juger un peu vite. Sur le seul plan des ressources scientifiques et technologiques, la Chine et les autres puissances émergentes ne seront sans doute jamais capables d'aligner des forces analogues à celle de l'Amérique. Certes, la Chine pourra toujours espérer resserrer la surveillance policière qu'elle exerce sur ses propres citoyens. Mais elle ne pourra jamais, ne fut-ce que devant les résistances, imposer au monde entier la domination globale; politique et technique, dont s'est dotée l'Amérique.
Cette domination, au cours des années de guerre froide puis de la guerre sans fin contre la Terreur décrétés par George Bush et poursuivie aujourd'hui encore, l'Amérique l'a acquise, notamment, avec le consensus des Etats et des citoyens européens. Puisque nous ne conspirons pas contre l'Amérique, peu nous importe que toutes nos activités, publiques et privées, soient espionnés, se sont dit et se disent encore les Européens. C'est pour la bonne cause que les Américains font cela.
Il en résulte aujourd'hui que l'Europe est totalement sans défense devant le plus vaste système d'enregistrement et de contrôle (monitoring) des comportements et des idées que le monde ait jamais connu. Il faudrait être bien naïf pour s'imaginer qu'un tel système ne sera pas utilisé pour coloniser dans tous les sens du terme le reste du monde, la riche Europe la première.
James Bamford a bien montré comment la NSA a construit son pouvoir en se superposant progressivement aux autres organismes chargés de l'espionnage (à l'extérieur) et du contre-espionnage (à l'intérieur) visant les activités supposées être anti-américaines. Elle l'a fait de son propre chef, en ne tenant aucun compte des prescriptions que pouvaient émettre les deux Chambres, le Président, les ministères et d'autres corps de contrôle. Aujourd'hui, alors que des restrictions budgétaires sévères menacent jusqu'au Pentagone, elle dispose toujours d'un « open bar » ou droit de tirage illimité sur les ressources financières.
Aucune des critiques que l'on peut émettre à son encontre ne trouve d'échos, ni auprès des institutions et partis politiques, ni dans les médias dominants. Un secret toujours aussi opaque continue à la protéger. Les quelques fuites qui se produisent cependant, comme celles rapportées par James Bamford et quelques rares journalistes d'investigation, lui rendent peut-être paradoxalement service. Elles ont l'effet inattendu de renforcer son emprise sur les esprits, en confortant la perception de la toute-puissance qui en émane. Devant une telle toute puissance, mieux vaut se faire petit.
Nous laisserons aux lecteurs anglophones le soin de traduire les informations que fournit l'article de James Bamford. Celles-ci concernent le réseau d'organismes et de moyens qui permettent à la NSA de capter tout ce qui l'intéresse dans le monde. Elles concernent aussi les outils informatiques d'une puissance inégalée à ce jour permettant de mémoriser et analyser les milliards de milliards de bits ainsi enregistrés en temps réel. James Bamford insiste sur le fait que ces outils informatiques et d'intelligence artificielle permettent bien plus. Dorénavant ils pourront casser tous les encryptages dont les Etats, les banques et les grandes entreprises se servent pour protéger leurs échanges. Plus aucune mémoire, individuelle ou collective, pour le présent, le futur mais aussi le passé, ne sera protégée. Les responsables politiques comme les spécialistes du renseignement et de l'intelligence économique européens devront se pénétrer de ces réalités.
Un début d'analyse ?
Pour nous ici, nous souhaiterions amorcer un début d'analyse. De quoi, si l'on peut dire, la NSA est-elle le nom? Qui sont les hommes et les intérêts concrets qui l'animent et assurent son impunité? Notre début de réponse apparaîtra comme une dérobade, bien apte à décourager les amorce de résistance dont notamment les Européens, institutions et citoyens, pourraient se doter face à un tel phénomène. Nous pensons cependant que voir dans la NSA la matérialisation parfaite de ce que nous avons nommé des systèmes anthropotechniques permettrait d'éviter toutes les illusions relatives à la possibilité politique ou juridiques de prévenir ou contenir l'émergence de tels monstres, sans développer des moyens d'analyse appropriés. .
Rappelons que pour nous un système anthropotechnique associe de façon inextricable des technologies se développant sur le mode viral et des humains dont les organismes, les cerveaux et même l'expression du génome sinon le génome lui-même, se sont adaptés à la prolifération de ces technologies. Les technologies, comme l'a bien montré Alain Cardon dans son dernier ouvrage (Vers un système de contrôle total ), s'organisent en réseaux de processus coactivés qui s'autonomisent spontanément. Cependant, simultanément, les processus perceptifs, moteurs et cognitifs propres aux humains intriqués avec les technologies au sein des systèmes anthropotechniques, s'auto-activent et se co-activent simultanément, tant de leur propre mouvement qu'en relation avec l'activation des agents technologiques. 1
Il en résulte qu'apparait ce que nous persistons à nommer un « monstre » au sens propre du terme, c'est-à-dire une entité jamais vue jusqu'alors et défiant tous les moyens de description habituels. Ce terme de monstre « monster » ou "munster", a déjà été utilisé pour qualifier le Pentagone ou ministère américain de la Défense. Il s'applique encore mieux à un organisme à la fois plus petit et plus virulent, tel que la NSA. Mais parler de monstre ne devrait pas conduire les citoyens, les scientifiques et les politiques à baisser les bras devant lui. Il faudrait seulement l'étudier avec plus de moyens, plus de pertinence et moins de naïveté.
C'est ce que font, nous semble-t-il, James Bamford et les médias tels que Wired qui relaient ses travaux. C'est ce que devront faire, qu'ils le veuillent ou non, les gouvernements européens – y compris le futur Président français. Nous craignons qu'il leur faille hélas beaucoup de temps pour commencer à comprendre le monde dans lequel nous vivons.
Références
NSA http://www.nsa.gov/
Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/National_Security_Agency
James Bamford http://en.wikipedia.org/wiki/James_Bamford
1) Ce concept de co-activation permet de répondre à une objection souvent faite: « pourquoi s'inquiéter si des organismes tels que la NSA accumulent sur le monde entier des informations pouvant donner lieu à des manipulations susceptibles de mettre en danger nos libertés? Les hommes capables de tirer parti de ces informations ne seront jamais assez nombreux. Nous ne risquons rien ». Penser cela et se rassurer montre le peu de compréhension que l'on a de tels systèmes anthropotechniques. Les informations collectées par la NSA sont comparables à des êtres vivants en compétition darwinienne pour l'accès à des ressources. Ces ressources sont les espaces dans les mémoires électroniques ou dans les cerveaux humains, l'énergie collectée, l'attention suscitée. Elles se co-activeront d'elles-mêmes pour produire les effets les plus rémunérateurs en termes de ressources. Peu importe que vous ne conspiriez pas contre l'Amérique. Un jour ou l'autre, les entités anthropotechniques que sont les informations collectées par le système finiront par induire chez celui-ci des comportements correspondants à ce qu'ils devraient être si vous étiez un ennemi de l'Amérique. Elles en tireront une considération accrue au sein du milieu global.
Ceci a été entrepris depuis déjà de longues années. Le cerveau central visible de cet édifice, un des sommets de l'iceberg, est en cours d'installation dans la ville de Bluffdale, dans l'Utah. Les ressources dont la NSA disposera ainsi dépasseront en puissance, semble-t-il, tous les moyens analogues dont sont dotés tous les gouvernements et toutes les entreprises du monde.
Évidemment, il s'agit de projets soumis à un strict secret. Dans une entreprise aussi gigantesque, des fuites se produisent nécessairement. L'écrivain et enquêteur américain James Bamford en a donné une description dans un article en date du 15 mars 2012 de la revue libérale Wired, qui mériterait plus d'attention qu'il n'en a reçu en Europe
voir The NSA Is Building the Country's Biggest Spy Center (Watch What You Say,
James Bamford est l' auteur d'un précédent ouvrage à succès décrivant la NSA et son rôle dans le système des pouvoirs américains: « The Shadow Factory: The Ultra-Secret NSA from 9/11 to the Eavesdropping on America ». Son travail, on le devine, ne lui a pas fait que des amis. Mais on trouve encore assez de contre-pouvoirs dans la démocratie américaine pour qu'il soit encore en vie et reste autorisé à publier. Cette tolérance ne durera peut-être pas. D'où l'intérêt qui s'attache à l'étude de son article.
Il confirme ce que soupçonnaient déjà ceux qui étudient les moyens par lesquels le complexe militaro-industriel et politique américain a dominé le monde jusqu'à ces dernières années. Certains observateurs optimistes pensent que la puissance de ce complexe s'affaiblit aujourd'hui, du fait de l'émergence de systèmes de domination analogues dans d'autres parties du monde, notamment en Chine. C'est juger un peu vite. Sur le seul plan des ressources scientifiques et technologiques, la Chine et les autres puissances émergentes ne seront sans doute jamais capables d'aligner des forces analogues à celle de l'Amérique. Certes, la Chine pourra toujours espérer resserrer la surveillance policière qu'elle exerce sur ses propres citoyens. Mais elle ne pourra jamais, ne fut-ce que devant les résistances, imposer au monde entier la domination globale; politique et technique, dont s'est dotée l'Amérique.
Cette domination, au cours des années de guerre froide puis de la guerre sans fin contre la Terreur décrétés par George Bush et poursuivie aujourd'hui encore, l'Amérique l'a acquise, notamment, avec le consensus des Etats et des citoyens européens. Puisque nous ne conspirons pas contre l'Amérique, peu nous importe que toutes nos activités, publiques et privées, soient espionnés, se sont dit et se disent encore les Européens. C'est pour la bonne cause que les Américains font cela.
Il en résulte aujourd'hui que l'Europe est totalement sans défense devant le plus vaste système d'enregistrement et de contrôle (monitoring) des comportements et des idées que le monde ait jamais connu. Il faudrait être bien naïf pour s'imaginer qu'un tel système ne sera pas utilisé pour coloniser dans tous les sens du terme le reste du monde, la riche Europe la première.
James Bamford a bien montré comment la NSA a construit son pouvoir en se superposant progressivement aux autres organismes chargés de l'espionnage (à l'extérieur) et du contre-espionnage (à l'intérieur) visant les activités supposées être anti-américaines. Elle l'a fait de son propre chef, en ne tenant aucun compte des prescriptions que pouvaient émettre les deux Chambres, le Président, les ministères et d'autres corps de contrôle. Aujourd'hui, alors que des restrictions budgétaires sévères menacent jusqu'au Pentagone, elle dispose toujours d'un « open bar » ou droit de tirage illimité sur les ressources financières.
Aucune des critiques que l'on peut émettre à son encontre ne trouve d'échos, ni auprès des institutions et partis politiques, ni dans les médias dominants. Un secret toujours aussi opaque continue à la protéger. Les quelques fuites qui se produisent cependant, comme celles rapportées par James Bamford et quelques rares journalistes d'investigation, lui rendent peut-être paradoxalement service. Elles ont l'effet inattendu de renforcer son emprise sur les esprits, en confortant la perception de la toute-puissance qui en émane. Devant une telle toute puissance, mieux vaut se faire petit.
Nous laisserons aux lecteurs anglophones le soin de traduire les informations que fournit l'article de James Bamford. Celles-ci concernent le réseau d'organismes et de moyens qui permettent à la NSA de capter tout ce qui l'intéresse dans le monde. Elles concernent aussi les outils informatiques d'une puissance inégalée à ce jour permettant de mémoriser et analyser les milliards de milliards de bits ainsi enregistrés en temps réel. James Bamford insiste sur le fait que ces outils informatiques et d'intelligence artificielle permettent bien plus. Dorénavant ils pourront casser tous les encryptages dont les Etats, les banques et les grandes entreprises se servent pour protéger leurs échanges. Plus aucune mémoire, individuelle ou collective, pour le présent, le futur mais aussi le passé, ne sera protégée. Les responsables politiques comme les spécialistes du renseignement et de l'intelligence économique européens devront se pénétrer de ces réalités.
Un début d'analyse ?
Pour nous ici, nous souhaiterions amorcer un début d'analyse. De quoi, si l'on peut dire, la NSA est-elle le nom? Qui sont les hommes et les intérêts concrets qui l'animent et assurent son impunité? Notre début de réponse apparaîtra comme une dérobade, bien apte à décourager les amorce de résistance dont notamment les Européens, institutions et citoyens, pourraient se doter face à un tel phénomène. Nous pensons cependant que voir dans la NSA la matérialisation parfaite de ce que nous avons nommé des systèmes anthropotechniques permettrait d'éviter toutes les illusions relatives à la possibilité politique ou juridiques de prévenir ou contenir l'émergence de tels monstres, sans développer des moyens d'analyse appropriés. .
Rappelons que pour nous un système anthropotechnique associe de façon inextricable des technologies se développant sur le mode viral et des humains dont les organismes, les cerveaux et même l'expression du génome sinon le génome lui-même, se sont adaptés à la prolifération de ces technologies. Les technologies, comme l'a bien montré Alain Cardon dans son dernier ouvrage (Vers un système de contrôle total ), s'organisent en réseaux de processus coactivés qui s'autonomisent spontanément. Cependant, simultanément, les processus perceptifs, moteurs et cognitifs propres aux humains intriqués avec les technologies au sein des systèmes anthropotechniques, s'auto-activent et se co-activent simultanément, tant de leur propre mouvement qu'en relation avec l'activation des agents technologiques. 1
Il en résulte qu'apparait ce que nous persistons à nommer un « monstre » au sens propre du terme, c'est-à-dire une entité jamais vue jusqu'alors et défiant tous les moyens de description habituels. Ce terme de monstre « monster » ou "munster", a déjà été utilisé pour qualifier le Pentagone ou ministère américain de la Défense. Il s'applique encore mieux à un organisme à la fois plus petit et plus virulent, tel que la NSA. Mais parler de monstre ne devrait pas conduire les citoyens, les scientifiques et les politiques à baisser les bras devant lui. Il faudrait seulement l'étudier avec plus de moyens, plus de pertinence et moins de naïveté.
C'est ce que font, nous semble-t-il, James Bamford et les médias tels que Wired qui relaient ses travaux. C'est ce que devront faire, qu'ils le veuillent ou non, les gouvernements européens – y compris le futur Président français. Nous craignons qu'il leur faille hélas beaucoup de temps pour commencer à comprendre le monde dans lequel nous vivons.
Références
NSA http://www.nsa.gov/
Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/National_Security_Agency
James Bamford http://en.wikipedia.org/wiki/James_Bamford
1) Ce concept de co-activation permet de répondre à une objection souvent faite: « pourquoi s'inquiéter si des organismes tels que la NSA accumulent sur le monde entier des informations pouvant donner lieu à des manipulations susceptibles de mettre en danger nos libertés? Les hommes capables de tirer parti de ces informations ne seront jamais assez nombreux. Nous ne risquons rien ». Penser cela et se rassurer montre le peu de compréhension que l'on a de tels systèmes anthropotechniques. Les informations collectées par la NSA sont comparables à des êtres vivants en compétition darwinienne pour l'accès à des ressources. Ces ressources sont les espaces dans les mémoires électroniques ou dans les cerveaux humains, l'énergie collectée, l'attention suscitée. Elles se co-activeront d'elles-mêmes pour produire les effets les plus rémunérateurs en termes de ressources. Peu importe que vous ne conspiriez pas contre l'Amérique. Un jour ou l'autre, les entités anthropotechniques que sont les informations collectées par le système finiront par induire chez celui-ci des comportements correspondants à ce qu'ils devraient être si vous étiez un ennemi de l'Amérique. Elles en tireront une considération accrue au sein du milieu global.
Comentarios
Documents
Jean-Paul Baquiast
Miércoles, 18 de Abril 2012
Ce 6e sommet (Summit of the Americas) qui a réuni les Etats-Unis et 30 chefs d'Etat d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud à Carthagène en Colombie les 14 et 15 avril, s'est traduit par un véritable isolement de l'Amérique.
Celle-ci est traditionnellement considérée comme dominant son « arrière-cour » des Etats latino-américain, grâce aux opportunités commerciales et aux investissements qu'elle offrait. Or elle s'est vu refuser la signature de l'habituel communiqué final. Le prétexte officiel en a été le refus toujours opposé par Obama à la reconnaissance de Cuba comme membre à part entière.
Mais les observateurs pensent que l'isolement de l'Amérique ainsi manifesté en plein jour tient aussi au développement économique et à l'indépendance politique croissante de la plupart des Etats américains. S'impose aussi sans doute une influence grandissante de la Chine, qui cherche à ce que l' « arrière-cour » américaine devienne aussi la sienne. On a remarqué ainsi les investissements chinois importants dans les Caraïbes, au plus grand déplaisir des Etats-Unis.
Les membres du sommet ont voulu signifier à Obama que le temps de la Guerre Froide était passé et qu'ils avaient définitivement repris leur indépendance. Ils ont cependant loué le président américain de la patience avec laquelle il a écouté les remontrances à son égard, notamment en ce qui concerne la tolérance américaine aux trafics d'armes, de drogues et de prostitution dont les Etats-Unis constituent un des principal débouché.
L'Union européenne n'est pas officiellement invitée à participer à de tels sommets, malgré les liens entretenus par certains Etats européens avec leurs homologues en Amérique Latine. Cependant, le durcissement des relations commerciales entre l'Argentine et l'Espagne, de même qu'entre l'Argentine et le Royaume-Uni à propos des Malouines, a été évoqué off records. L'Europe n'y a pas été présentée sous son meilleur visage. On regrettera en fait que l'Union Européenne ne s'efforce pas d'exercer une action diplomatique suffisante dans de telles instances, au service d'un renforcement des liens avec l'Amérique latine. Elle s'imposerait d'autant plus que recule l'influence américaine.
* Voir Reuters http://www.reuters.com/article/2012/04/17/us-americas-summit-obama-idUSBRE83F0UD20120417
* Le sommet des Amériques (http://www.summit-americas.org/default_en.htm) est une des manifestations de l'OAS, Organization Of American States (http://www.oas.org/en/default.asp )
Documents
Jean-Paul Baquiast
Martes, 17 de Abril 2012
Il faut regretter l'indifférence sinon la dérision qu'ont provoqué les propos du candidat Jacques Cheminade concernant les enjeux du spatial pour la France et l'Europe. Jacques Cheminade, qui connait bien le domaine, a seulement rappelé que d'ambitieux projets d'exploration de l'espace constitueraient, pour l'immédiat comme pour le long terme, les meilleurs moteurs qui soient au service des progrès scientifiques et technologiques dont nous avons besoin pour résister à la concurrence des autres puissances. Au contraire de la Chine, de la Russie, du Brésil, de l'Amérique, la France est sans doute le seul pays où ces propositions rencontrent une telle incompréhension, tant des médias que des milieux politiques.
Nous espérons que nos lecteurs ne sont pas aussi ignorants que le reste de nos compatriotes, depuis le temps que nous discutons avec eux discuté de ces enjeux. Revenons cependant un instant sur la question, en nous plaçant dans la perspective géopolitique qui s'impose désormais à l'Europe. Il faut en effet constater que les programmes européens, principalement conduits au niveau de l'Agence spatiale européenne (Esa), marquent désormais le pas faute de crédits. Pendant ce temps, les Etats-Unis ont clairement annoncé que la Nasa renonçait à collaborer avec l'Esa dans l'important programme d'exploration de la planète Mars, ExoMars, et dans d'autres plus mineurs, sur lesquels comptaient beaucoup les Européens. Enfin, comme l'annonce régulièrement la presse consacrée à l'espace, la Chine, l'Inde, la Russie et le Brésil, poursuivent ou relancent d'importants programmes, dans les différents segments intéressant l'exploration ou l'exploitation de l'espace. Si l'Europe se désintéressait de l'espace, elle compromettrait non seulement sa place dans le monde de demain, mais plus généralement son indépendance et sa souveraineté.
Des technologies de souveraineté
Appelons technologies de souveraineté celles qui, outre leur intérêt intrinsèque, permettent à un pouvoir géopolitique d'affirmer sa volonté d'indépendance et de puissance dans un monde devenu multipolaire. Pour cela, elles doivent être développées par ce pouvoir avec ses propres ressources, afin d'échapper à la dépendance que cherchent à continuer d'imposer les pouvoirs concurrents lorsque, pour des raisons historiques, ils dominaient jusque là les secteurs concernés.
Un bon exemple d'une telle technologie de souveraineté est l'avion de combat français Rafale. Réalisé dans la tradition gaullienne par la France seule, il lui permet aujourd'hui d'échapper à la domination que tentaient d'imposer les Etats-Unis en obligeant de fait la plupart des armées du monde à s'équiper, pendant au moins la première moitié du 21e siècle, du Joint Strike Fighter F 35. On a souvent reproché à la France de réaliser un avion dont aucun autre pays ne voulait. Aujourd'hui, alors que le programme F 35 semble en train d'échouer, il apparaît que le Rafale offre à tous ceux qui s'associeraient à son développement et à sa production des atouts d'indépendance et de souveraineté irremplaçables. La France n'a ni l'ambition ni les moyens d'en faire un objet de domination. Elle ne vise qu'à la coopération. Les sceptiques se demandent à quoi bon se mobiliser pour un système d'armes. Sommes-nous en guerre? Ils ont tort. Si une coopération internationale entre l'Europe et certains des pays du BRICS, notamment le Brésil et l'Inde, pouvaient s'organiser autour du concept Rafale, il s'agirait d'un succès décisif pour l'ensemble des partenaires.
Or le domaine spatial, né de l'aéronautique, doit être considéré, à une toute autre échelle, comme celui par excellence des technologies de souveraineté. Il permet d'assurer aux puissances géopolitiques qui s'y investissent une présence en toute indépendance dans des dimensions du monde déjà vitales pour leur survie et qui le deviendront de plus en plus. Il s'agit généralement de technologies dites duales, c'est-à-dire à usages autant civils que militaires. Beaucoup sont de nature commerciale mais beaucoup sont également de nature régalienne, autrement dit intéressant les puissances publiques, indépendamment des retombées commerciales envisageables.
Enumérons les principales d'entre elles:
- les centres spatiaux, de préférence situés sur la ceinture équatoriale.
- les lanceurs, de puissances variées, indispensables pour atteindre les différentes orbites requises selon les applications.
- les satellites de télécommunications aux innombrables applications.
- les satellites d'observation de la terre, des océans et de l'espace proche, indispensables à la protection raisonnée de notre environnement terrestre.
- les sondes interplanétaires, à usage principalement scientifique.
- les stations dite sol, pour la réception, le traitement et l'exploitation des données.
On ajoutera ici tout ce qui concerne l'exploration des autres planètes, qu'elle fasse appel à des robots ou à des humains: capsules, orbiteurs, atterrisseurs, robots d'exploration, lesquels seront de plus en plus autonomes. La Station spatiale internationale actuelle ou des équipements futurs de même nature, qu'il n'est plus question d'abandonner, ainsi que les moyens d'y accéder, se situent à l'interface de certaines des applications précédentes.
Perspectives de coopération
Les Etats-Unis ont depuis les origines décidé qu'ils devaient pleinement dominer l'espace, en s'assurant une avance de plusieurs années sur les autres Etats. C'est le concept de full spatial dominance. Malgré leurs difficultés économiques actuelles, ils ne renoncent pas à cette ambition.Les Etats européens ont, non sans discussions ni réticences, convenu qu'ils devaient, en propre ou à travers l'Agence Spatiale européenne, assurer une présence dans certains créneaux. Le domaine le plus réussi à ce jour est celui des lanceurs et des satellites civils et militaires. La Chine, suivie par l'Inde, semble résolue à se doter de moyens propres, sur le modèle américain, y compris dans le domaine le plus risqué, celui des missions interplanétaires. La Russie, longtemps très en avance, elle aussi, est en train de reconstituer un potentiel mis à mal par la recherche d'économies et une privatisation mal fondées. Sa coopération avec l'Europe est déjà exemplaire.
Serait-il envisageable que, compte tenu des coûts et des difficultés, les Terriens puissent s'entendre sur un pied de relative égalité pour coopérer au service des programmes spatiaux de ce siècle? Ce serait sans doute souhaitable, mais pour le moment, les grandes puissances sont plutôt en concurrence. Les coopérations, quand elles s'organisent, se font sur la base de l'inégalité. Ceci parce que, comme indiqué ci-dessus, les technologies spatiales sont des technologies de puissance et qu'aucun des grands Etats ne veut partager leur développement ou leur mise en oeuvre.
On pourrait par contre espérer voir s'établir des coopérations intéressant des aires géographiques ou géostratégiques bien définies. Cette perspective intéresse directement l'Europe. Au delà de la coopération entre Etats européens eux-mêmes, désormais bien acquise (malgré certaines rivalités qui relèvent du bon voisinage), une alliance stratégique entre l'Esa et la Russie est désormais une réalité. Notre article dans ce même numéro illustre ses derniers développements (voir http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2012/126/espacerusse.htm). On notera à ce propos que, au moment où l'Europe, pour des raisons sans doute politiciennes, était « lâchée » sinon « trahie » par l'Amérique, la Russie s'est montrée décidée à prendre le relais. La Russie et l'Europe gagneront certainement à conjuguer leurs efforts dans le domaine martien, comme c'est déjà le cas dans celui des lanceurs et des stations sols.
Mais au delà? Il n'échappera à personne que la Russie est un membre influent du BRICS cité plus haut. Une coopération euroBRICS pourrait-elle être envisagée dans l'avenir? La Chine en ce qui la concerne a mené jusqu'ici un parcours sans fautes, élargissant progressivement ses ambitions. Un Livre Blanc publié fin 2011 pour les 5 prochaines années envisage une station spatiale en orbite basse et peut-être un débarquement humain ponctuel sur la Lune. Il reste que les technologies utilisées, autant que l'on puisse en juger, sont encore assez rustiques. Des faiblesses risquent d'apparaître. L'Inde s'efforce de suivre la trajectoire chinoise, mais ses ressources paraissent bien moindres que celles de la Chine. Le Brésil pour sa part ne peut actuellement envisager qu'un rôle d'appoint. On peut penser que, orgueil national mis à part, la seule solution technologique raisonnable pour ces trois pays serait de coopérer entre eux et avec l'Europe – tout en gardant évidemment un pouvoir de décision.
L'argument budgétaire semble le plus convaincant. Il est difficile d'estimer le coût d'une mission, telle que par exemple l'envoi d'un équipage sur la Lune. Nous dirions pour notre part que l'équivalent de l'ancien programme Apollo américain dépasserait aujourd'hui 300 milliards de dollars. C'est à la portée d'un grand pays. Les guerres au Moyen Orient ont coûté en 10 ans à l'Amérique environ 3 trillions de dollars. Un Etat tel que la Chine, qui préférerait semble-t-il une expédition spatiale à une guerre, pourrait la financer, non sans sacrifices. Par contre, pour des raisons politiques et économiques, ni l'Europe ni la Russie, ni sans doute l'Inde ou le Brésil, n'accepteraient de se lancer seuls dans de telles opérations. La coopération budgétaire et humaine s'imposerait donc pour minimiser les coûts.
Ceci étant, le spatial a toujours été et reste dominé par les Etats-Unis. Pourquoi ne pas faire appel à des coopérations avec la Nasa? Nous répondrons que, pour le moment, et sans exclure des changements à l'avenir, coopérer avec les Etats-Unis serait se mettre, en grand et en détail, au service de leurs propres impératifs géostratégiques et économiques. Ils imposeraient à leurs « partenaires », comme ils l'ont toujours fait, des abandons de souveraineté insupportables. Une autre raison doit être évoquée. Aujourd'hui, l'appauvrissement de leurs finances publiques semble devoir leur interdire les projets ambitieux qu'avait planifiés la Nasa. Tout au plus parle-t-on de faire appel à des opérateurs privés pour des vols en orbite terrestre – vols dont les coûts seront d'ailleurs très élevés, seulement à la portée de quelques riches privilégiés, s'il s'en trouvent. .
On voit que pour l'Europe et les Etats composant le BRICS, la mutualisation des efforts paraît la seule façon d'avancer vite et bien. Elle permettrait de définir des champs de coopérations industrielles et scientifiques associant l'ensemble des partenaires. Elle permettrait d'aller plus loin, en accélérant la réalisation d'investissements en réseau dans chacun des Etats ou Fédérations concernés. Les retombées scientifiques, industrielles, organisationnelles, seraient encore plus importantes.
Certains ne manquent pas de demander si, pour des pays, y compris européens, où une grande partie de la population peine à survivre, il est raisonnable d'envisager de telles dépenses. N'en profitent qu'une infime minorité. On peut répondre que les sommes impliquées sont marginales. Y renoncer n'augmenterait que de quelques euros les revenus individuels, mais supprimerait en contre partie beaucoup d'opportunités de croissance et d'emploi. De plus les sociétés humaines n'ont-elles pas toujours vécu, pour le meilleur et pour le pire, les yeux fixés au delà de l'horizon immédiat? On ne peut que souhaiter de tels rêves aux citoyens de l'EuroBRICS.
On pourrait presque parler de rêves civilisationnels, si nous osons le mot. En effet, en cas de succès, compte tenu de la force imaginaire du spatial, on imagine ce que représenterait aux yeux du monde la mise en place dans les prochaines années d'une station lunaire voire à terme martienne, portant les couleurs de l'EuroBRICS.
Documents
* Amarrage de l'ATV européen Eduardo Arnaldi à l'ISS le 29 mars 2012 http://www.esa.int/esaCP/SEMUASGY50H_index_0.html
* Mission ExoMars http://www.esa.int/SPECIALS/ExoMars/SEM10VLPQ5F_0.html
* Colonisation de la Lune (Wikipedia) http://fr.wikipedia.org/wiki/Colonisation_de_la_Lune
Des technologies de souveraineté
Appelons technologies de souveraineté celles qui, outre leur intérêt intrinsèque, permettent à un pouvoir géopolitique d'affirmer sa volonté d'indépendance et de puissance dans un monde devenu multipolaire. Pour cela, elles doivent être développées par ce pouvoir avec ses propres ressources, afin d'échapper à la dépendance que cherchent à continuer d'imposer les pouvoirs concurrents lorsque, pour des raisons historiques, ils dominaient jusque là les secteurs concernés.
Un bon exemple d'une telle technologie de souveraineté est l'avion de combat français Rafale. Réalisé dans la tradition gaullienne par la France seule, il lui permet aujourd'hui d'échapper à la domination que tentaient d'imposer les Etats-Unis en obligeant de fait la plupart des armées du monde à s'équiper, pendant au moins la première moitié du 21e siècle, du Joint Strike Fighter F 35. On a souvent reproché à la France de réaliser un avion dont aucun autre pays ne voulait. Aujourd'hui, alors que le programme F 35 semble en train d'échouer, il apparaît que le Rafale offre à tous ceux qui s'associeraient à son développement et à sa production des atouts d'indépendance et de souveraineté irremplaçables. La France n'a ni l'ambition ni les moyens d'en faire un objet de domination. Elle ne vise qu'à la coopération. Les sceptiques se demandent à quoi bon se mobiliser pour un système d'armes. Sommes-nous en guerre? Ils ont tort. Si une coopération internationale entre l'Europe et certains des pays du BRICS, notamment le Brésil et l'Inde, pouvaient s'organiser autour du concept Rafale, il s'agirait d'un succès décisif pour l'ensemble des partenaires.
Or le domaine spatial, né de l'aéronautique, doit être considéré, à une toute autre échelle, comme celui par excellence des technologies de souveraineté. Il permet d'assurer aux puissances géopolitiques qui s'y investissent une présence en toute indépendance dans des dimensions du monde déjà vitales pour leur survie et qui le deviendront de plus en plus. Il s'agit généralement de technologies dites duales, c'est-à-dire à usages autant civils que militaires. Beaucoup sont de nature commerciale mais beaucoup sont également de nature régalienne, autrement dit intéressant les puissances publiques, indépendamment des retombées commerciales envisageables.
Enumérons les principales d'entre elles:
- les centres spatiaux, de préférence situés sur la ceinture équatoriale.
- les lanceurs, de puissances variées, indispensables pour atteindre les différentes orbites requises selon les applications.
- les satellites de télécommunications aux innombrables applications.
- les satellites d'observation de la terre, des océans et de l'espace proche, indispensables à la protection raisonnée de notre environnement terrestre.
- les sondes interplanétaires, à usage principalement scientifique.
- les stations dite sol, pour la réception, le traitement et l'exploitation des données.
On ajoutera ici tout ce qui concerne l'exploration des autres planètes, qu'elle fasse appel à des robots ou à des humains: capsules, orbiteurs, atterrisseurs, robots d'exploration, lesquels seront de plus en plus autonomes. La Station spatiale internationale actuelle ou des équipements futurs de même nature, qu'il n'est plus question d'abandonner, ainsi que les moyens d'y accéder, se situent à l'interface de certaines des applications précédentes.
Perspectives de coopération
Les Etats-Unis ont depuis les origines décidé qu'ils devaient pleinement dominer l'espace, en s'assurant une avance de plusieurs années sur les autres Etats. C'est le concept de full spatial dominance. Malgré leurs difficultés économiques actuelles, ils ne renoncent pas à cette ambition.Les Etats européens ont, non sans discussions ni réticences, convenu qu'ils devaient, en propre ou à travers l'Agence Spatiale européenne, assurer une présence dans certains créneaux. Le domaine le plus réussi à ce jour est celui des lanceurs et des satellites civils et militaires. La Chine, suivie par l'Inde, semble résolue à se doter de moyens propres, sur le modèle américain, y compris dans le domaine le plus risqué, celui des missions interplanétaires. La Russie, longtemps très en avance, elle aussi, est en train de reconstituer un potentiel mis à mal par la recherche d'économies et une privatisation mal fondées. Sa coopération avec l'Europe est déjà exemplaire.
Serait-il envisageable que, compte tenu des coûts et des difficultés, les Terriens puissent s'entendre sur un pied de relative égalité pour coopérer au service des programmes spatiaux de ce siècle? Ce serait sans doute souhaitable, mais pour le moment, les grandes puissances sont plutôt en concurrence. Les coopérations, quand elles s'organisent, se font sur la base de l'inégalité. Ceci parce que, comme indiqué ci-dessus, les technologies spatiales sont des technologies de puissance et qu'aucun des grands Etats ne veut partager leur développement ou leur mise en oeuvre.
On pourrait par contre espérer voir s'établir des coopérations intéressant des aires géographiques ou géostratégiques bien définies. Cette perspective intéresse directement l'Europe. Au delà de la coopération entre Etats européens eux-mêmes, désormais bien acquise (malgré certaines rivalités qui relèvent du bon voisinage), une alliance stratégique entre l'Esa et la Russie est désormais une réalité. Notre article dans ce même numéro illustre ses derniers développements (voir http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2012/126/espacerusse.htm). On notera à ce propos que, au moment où l'Europe, pour des raisons sans doute politiciennes, était « lâchée » sinon « trahie » par l'Amérique, la Russie s'est montrée décidée à prendre le relais. La Russie et l'Europe gagneront certainement à conjuguer leurs efforts dans le domaine martien, comme c'est déjà le cas dans celui des lanceurs et des stations sols.
Mais au delà? Il n'échappera à personne que la Russie est un membre influent du BRICS cité plus haut. Une coopération euroBRICS pourrait-elle être envisagée dans l'avenir? La Chine en ce qui la concerne a mené jusqu'ici un parcours sans fautes, élargissant progressivement ses ambitions. Un Livre Blanc publié fin 2011 pour les 5 prochaines années envisage une station spatiale en orbite basse et peut-être un débarquement humain ponctuel sur la Lune. Il reste que les technologies utilisées, autant que l'on puisse en juger, sont encore assez rustiques. Des faiblesses risquent d'apparaître. L'Inde s'efforce de suivre la trajectoire chinoise, mais ses ressources paraissent bien moindres que celles de la Chine. Le Brésil pour sa part ne peut actuellement envisager qu'un rôle d'appoint. On peut penser que, orgueil national mis à part, la seule solution technologique raisonnable pour ces trois pays serait de coopérer entre eux et avec l'Europe – tout en gardant évidemment un pouvoir de décision.
L'argument budgétaire semble le plus convaincant. Il est difficile d'estimer le coût d'une mission, telle que par exemple l'envoi d'un équipage sur la Lune. Nous dirions pour notre part que l'équivalent de l'ancien programme Apollo américain dépasserait aujourd'hui 300 milliards de dollars. C'est à la portée d'un grand pays. Les guerres au Moyen Orient ont coûté en 10 ans à l'Amérique environ 3 trillions de dollars. Un Etat tel que la Chine, qui préférerait semble-t-il une expédition spatiale à une guerre, pourrait la financer, non sans sacrifices. Par contre, pour des raisons politiques et économiques, ni l'Europe ni la Russie, ni sans doute l'Inde ou le Brésil, n'accepteraient de se lancer seuls dans de telles opérations. La coopération budgétaire et humaine s'imposerait donc pour minimiser les coûts.
Ceci étant, le spatial a toujours été et reste dominé par les Etats-Unis. Pourquoi ne pas faire appel à des coopérations avec la Nasa? Nous répondrons que, pour le moment, et sans exclure des changements à l'avenir, coopérer avec les Etats-Unis serait se mettre, en grand et en détail, au service de leurs propres impératifs géostratégiques et économiques. Ils imposeraient à leurs « partenaires », comme ils l'ont toujours fait, des abandons de souveraineté insupportables. Une autre raison doit être évoquée. Aujourd'hui, l'appauvrissement de leurs finances publiques semble devoir leur interdire les projets ambitieux qu'avait planifiés la Nasa. Tout au plus parle-t-on de faire appel à des opérateurs privés pour des vols en orbite terrestre – vols dont les coûts seront d'ailleurs très élevés, seulement à la portée de quelques riches privilégiés, s'il s'en trouvent. .
On voit que pour l'Europe et les Etats composant le BRICS, la mutualisation des efforts paraît la seule façon d'avancer vite et bien. Elle permettrait de définir des champs de coopérations industrielles et scientifiques associant l'ensemble des partenaires. Elle permettrait d'aller plus loin, en accélérant la réalisation d'investissements en réseau dans chacun des Etats ou Fédérations concernés. Les retombées scientifiques, industrielles, organisationnelles, seraient encore plus importantes.
Certains ne manquent pas de demander si, pour des pays, y compris européens, où une grande partie de la population peine à survivre, il est raisonnable d'envisager de telles dépenses. N'en profitent qu'une infime minorité. On peut répondre que les sommes impliquées sont marginales. Y renoncer n'augmenterait que de quelques euros les revenus individuels, mais supprimerait en contre partie beaucoup d'opportunités de croissance et d'emploi. De plus les sociétés humaines n'ont-elles pas toujours vécu, pour le meilleur et pour le pire, les yeux fixés au delà de l'horizon immédiat? On ne peut que souhaiter de tels rêves aux citoyens de l'EuroBRICS.
On pourrait presque parler de rêves civilisationnels, si nous osons le mot. En effet, en cas de succès, compte tenu de la force imaginaire du spatial, on imagine ce que représenterait aux yeux du monde la mise en place dans les prochaines années d'une station lunaire voire à terme martienne, portant les couleurs de l'EuroBRICS.
Documents
* Amarrage de l'ATV européen Eduardo Arnaldi à l'ISS le 29 mars 2012 http://www.esa.int/esaCP/SEMUASGY50H_index_0.html
* Mission ExoMars http://www.esa.int/SPECIALS/ExoMars/SEM10VLPQ5F_0.html
* Colonisation de la Lune (Wikipedia) http://fr.wikipedia.org/wiki/Colonisation_de_la_Lune
European Network of Geopolitical Thinking
Eduardo Martínez
The European Network of Geopolitical Thinking, established in April 2011 on the Isle of Thought, Galicia (Spain), aims to contribute to the positioning Europe in the new global geopolitical context.
La reunión constitutiva de la Red Europea de Reflexión Geopolítica tuvo lugar del 26 al 29 de abril de 2011 en San Simón, Isla del Pensamiento, Galicia, España.
Network Members
Geoeconomía. Blog de Eduardo Olier
Conocimiento. Blog de Fernando Davara
Inteligencia. Blog de Fernando Velasco
Lasts Notes
Vers une fracture au sein de l'Otan
20/05/2014
Newropeans, une démarche à suivre
20/05/2014
PUISSANCE ET SOUVERAINETE
20/05/2014
Files/Archives/Archivo
Red Europea de Reflexión Geopolítica.Réseau Européen de Réflexion Géopolitique.European network of geopolitical thinking
Tendencias 21 (Madrid). ISSN 2174-6850
Tendencias 21 (Madrid). ISSN 2174-6850


