Réseau européen de réflexion géopolitique/European network of geopolitical thinking
|
|
|
Documents
Jean-Claude Empereur
Jueves, 29 de Marzo 2012
Très récemment les « experts » du forum de Davos ont considéré, pour plus de la moitié d’entre eux, qu’il existait pour les douze mois à venir « un risque géopolitique majeur » voire même un rique d’affrontement militaire de haute intensité. Ce genre de prise de position venant de ce haut lieu de la pensée économique conforme et globalisée mérite attention.
Cette analyse illustre parfaitement le fait que la crise à laquelle nous sommes confrontés est en réalité une crise géopolitique, beaucoup plus qu’une crise économique et financière. Nous abordons une phase de « basculement du monde » pour reprendre l’expression de l’économiste et géopolitologue français Hervé Juvin.
Il ne s’agit plus de savoir quand nous sortirons de la crise mais comment et dans quel état nous allons entrer dans « le monde d’après la crise ». Il y a sur ce point une grande concordance d’analyse entre un certain nombre de prospectivistes européens ou américains (LEAP, Trends Research Institute, De Defensa, pour ne citer que les plus flamboyants…).
Comme le rappelle le géopolitologue Robert Kagan : « le monde est redevenu normal ». La mondialisation apparait maintenant pour ce qu’elle est : une compétition acharnée voire coercitive que se livrent dans tous les domaines quelques grands blocs continentaux. On est bien loin de l’idéologie lénifiante de la « fin de l’histoire » ou de celle plus irénique encore du « doux commerce » chère aux philosophes des Lumières.
Dans le monde à venir tout devient géopolitique.
Les Européens qui ont été durant des siècles les acteurs du monde en sont devenus, depuis cent ans, (déclenchement de la première guerre mondiale) les enjeux.
Le paradoxe de la situation actuelle est que la crise leur donne l’occasion, s’ils en ont la volonté et le courage, de reprendre leur destin en main.
Mais pour cela il leur faut développer leur propre vision géopolitique du monde.
Or, aujourd’hui, chacun des grands acteurs continentaux mondiaux Etats–Unis, Chine, Inde, Russie, Brésil (mais aussi quelques acteurs de taille plus modeste disposant de ressources humaines ou naturelles exceptionnelles et stratégiquement disposés sur des positions clefs : Japon, Corée du sud, Israël, Afrique du Sud..) se sont forgés non seulement une vision géopolitique planétaire globale mais aussi, très souvent, une projection de cette vision sur l’Europe.
Sans vision commune extérieure les Européens se trouvent ainsi confinés au fond de ce que l’on pourrait appeler une « trappe géopolitique ». Pire encore, depuis quelque temps, la crise aidant, réapparaît, au fond de cette trappe, l’amorce de conflits internes (tensions franco-allemandes au sujet du projet d’Union pour la Méditerranée, rupture Anglo-européenne à l’issue du sommet du 9 décembre 2011, attitude hongroise vis à vis des minorités dispersées en Europe centrale, conflits latents en ex-Yougoslavie etc…)
Dans cette perspective et face à ces différents périls, l’idée du développement d’une pensée et d’une vision géopolitique authentiquement européenne est une nécessité impérieuse.
Cette pensée n’est actuellement formulée nulle part et certainement pas au sein des institutions européennes qui ont toujours été plus que réticentes dans ce domaine pour de multiples raisons qu’il sera d’ailleurs intéressant d’élucider.
L’Europe est actuellement confrontée à trois scénarios : la survie sous perfusion, la dislocation monétaire et institutionnelle, la renaissance volontariste. Le premier est, si nous n’y prenons garde, sans doute le plus probable, c’est peut être le plus dangereux car le plus insidueux, le second est tout à fait possible car le monde entier est entré dans une phase de dislocation/recomposition accélérée, le dernier est de loin le plus souhaitable, mais il est à craindre que la crise ne soit pas encore assez avancée pour que les Européens en soient vraiment convaincus.
Notre « Red Europea de Reflexion Geopolitica » pourrait être, en approfondissant cette analyse, l’initiateur puis le fédérateur d’une véritable pensée géopolitique.
Les quelques idées qui suivent, bien entendu complétées par beaucoup d’autres provenant de discussions organisées entre nous, pourraient servir d’esquisse à notre réflexion.
I-Vision géopolitique : proposition de définition.
Une telle vision, consiste à considérer ou à tirer partie, dans les relations internationales, et face au processus de mondialisation en cours, de l’ensemble des avantages et des inconvénients résultant de la position et de la configuration d’un Etat, ou d’une Union d’Etats, sur la planète.
Cette approche, si on la retient, implique une réflexion sur les domaines auxquels cette vision s’applique et les vecteurs qui permettent sa mise en œuvre voire sa projection.
Cette vision commune et interne aux Européens devrait constituer le cœur de leur politique internationale.
II- Les domaines.
Pour l’essentiel il s’agira des relations avec les principaux acteurs mondiaux :
· Etats–Unis et monde atlantique,
· Russie et Eurasie,
· Amérique du Sud (certainement un domaine d’excellence pour notre « Red », compte tenu des relations particulières de L’Espagne et du Portugal avec cet ensemble hautement stratégique pour l’avenir de l’Europe).
· Chine,
· Inde,
· Proche et Moyen Orient
· Afrique.
· Autres acteurs potentiels.
Dans chacune des situations il conviendra d’effectuer, à la lumière des principes de la géopolitique, une analyse des forces et faiblesses des relations de l’Europe avec ces différents acteurs et de proposer de nouveaux positionnements et de nouvelles relations ou coopérations stratégiques.
Il importera également de s’interroger, dans chaque cas, sur la vision géopolitique que chacun de ces acteurs porte en retour sur l’Europe.
III- Les vecteurs.
Il s’agit d’envisager, à ce niveau, l’ensemble des moyens qui doivent permettre à l’Europe la reprise en main de son destin et inventer un modèle de souveraineté protectrice, libératrice et anticipatrice.
Les Européens ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes pour survivre en tant qu’acteurs majeurs du bouleversement géopolitique en cours, mais ils n’en ont pas encore une claire conscience, tant ils paraissent saisis d’effroi et de désarroi par la situation inédite à laquelle ils sont confrontés. Cette attitude ne doit en aucun cas se traduire par une volonté d’isolement ou d’enfermement dans on ne sait quelle réaction obsidionnale.
La liste de ces vecteurs est inépuisable. On en isolera quelques uns :
· Monnaie,
· Défense,
· Espace,
· Energie,
· Culture,
· NBIC,
· Démographie,
· Etc…
Pour chacun d’eux des politiques et des stratégies communes de puissance, d’indépendance et de souveraineté devront être définies et mises en oeuvre.
A partir de ce schéma de pensée le Red Europea de Reflexion Geopolitica appuyé par différents partenaires en réseau devrait être en mesure de définir les contours et les objectifs d’un institut paneuropéen de reflexion géopolitique
IV- Programme et méthode.
Le projet de livre évoqué recemment par Xulio Rios et dont celui-ci a esquissé avec Jean-Paul Baquiast une première ébauche pourrait être croisé avec les idées qui viennent d’être évoquées. Nous disposerions ainsi d’ici la fin de l’année d’une plateforme qui permettrait de fixer les idées de notre « Red ».
Sur la base de cette plateforme dont le rôle pour la présentation et la promotion de nos idées serait essentiel deux actions pourraient être engagées rapidement :
· Rechercher quelques sponsors intéréssés par notre démarche afin de nous doter d’un minimum de moyens financiers,
· Organiser, sur nos positions, un réseau européen de laboratoires d’idées. Il existe déjà des organismes dispersés sur le territoire européen qui pourraient nous rejoindre. Nous en connaissons tous, qu’il s’agisse de centres de recherche, d’universités, de fondations privées ou d’entreprises etc…
Le « Red Europea de Reflexion Geopolitica » en se situant ainsi, avec ses différents partenaires, au coeur d’un « réseau de réseaux » constituerait alors l’organisme de préfiguration de ce futur « Institut de géopolitique européenne ».
Jean-Claude Empereur.
Janvier 2012.
Il ne s’agit plus de savoir quand nous sortirons de la crise mais comment et dans quel état nous allons entrer dans « le monde d’après la crise ». Il y a sur ce point une grande concordance d’analyse entre un certain nombre de prospectivistes européens ou américains (LEAP, Trends Research Institute, De Defensa, pour ne citer que les plus flamboyants…).
Comme le rappelle le géopolitologue Robert Kagan : « le monde est redevenu normal ». La mondialisation apparait maintenant pour ce qu’elle est : une compétition acharnée voire coercitive que se livrent dans tous les domaines quelques grands blocs continentaux. On est bien loin de l’idéologie lénifiante de la « fin de l’histoire » ou de celle plus irénique encore du « doux commerce » chère aux philosophes des Lumières.
Dans le monde à venir tout devient géopolitique.
Les Européens qui ont été durant des siècles les acteurs du monde en sont devenus, depuis cent ans, (déclenchement de la première guerre mondiale) les enjeux.
Le paradoxe de la situation actuelle est que la crise leur donne l’occasion, s’ils en ont la volonté et le courage, de reprendre leur destin en main.
Mais pour cela il leur faut développer leur propre vision géopolitique du monde.
Or, aujourd’hui, chacun des grands acteurs continentaux mondiaux Etats–Unis, Chine, Inde, Russie, Brésil (mais aussi quelques acteurs de taille plus modeste disposant de ressources humaines ou naturelles exceptionnelles et stratégiquement disposés sur des positions clefs : Japon, Corée du sud, Israël, Afrique du Sud..) se sont forgés non seulement une vision géopolitique planétaire globale mais aussi, très souvent, une projection de cette vision sur l’Europe.
Sans vision commune extérieure les Européens se trouvent ainsi confinés au fond de ce que l’on pourrait appeler une « trappe géopolitique ». Pire encore, depuis quelque temps, la crise aidant, réapparaît, au fond de cette trappe, l’amorce de conflits internes (tensions franco-allemandes au sujet du projet d’Union pour la Méditerranée, rupture Anglo-européenne à l’issue du sommet du 9 décembre 2011, attitude hongroise vis à vis des minorités dispersées en Europe centrale, conflits latents en ex-Yougoslavie etc…)
Dans cette perspective et face à ces différents périls, l’idée du développement d’une pensée et d’une vision géopolitique authentiquement européenne est une nécessité impérieuse.
Cette pensée n’est actuellement formulée nulle part et certainement pas au sein des institutions européennes qui ont toujours été plus que réticentes dans ce domaine pour de multiples raisons qu’il sera d’ailleurs intéressant d’élucider.
L’Europe est actuellement confrontée à trois scénarios : la survie sous perfusion, la dislocation monétaire et institutionnelle, la renaissance volontariste. Le premier est, si nous n’y prenons garde, sans doute le plus probable, c’est peut être le plus dangereux car le plus insidueux, le second est tout à fait possible car le monde entier est entré dans une phase de dislocation/recomposition accélérée, le dernier est de loin le plus souhaitable, mais il est à craindre que la crise ne soit pas encore assez avancée pour que les Européens en soient vraiment convaincus.
Notre « Red Europea de Reflexion Geopolitica » pourrait être, en approfondissant cette analyse, l’initiateur puis le fédérateur d’une véritable pensée géopolitique.
Les quelques idées qui suivent, bien entendu complétées par beaucoup d’autres provenant de discussions organisées entre nous, pourraient servir d’esquisse à notre réflexion.
I-Vision géopolitique : proposition de définition.
Une telle vision, consiste à considérer ou à tirer partie, dans les relations internationales, et face au processus de mondialisation en cours, de l’ensemble des avantages et des inconvénients résultant de la position et de la configuration d’un Etat, ou d’une Union d’Etats, sur la planète.
Cette approche, si on la retient, implique une réflexion sur les domaines auxquels cette vision s’applique et les vecteurs qui permettent sa mise en œuvre voire sa projection.
Cette vision commune et interne aux Européens devrait constituer le cœur de leur politique internationale.
II- Les domaines.
Pour l’essentiel il s’agira des relations avec les principaux acteurs mondiaux :
· Etats–Unis et monde atlantique,
· Russie et Eurasie,
· Amérique du Sud (certainement un domaine d’excellence pour notre « Red », compte tenu des relations particulières de L’Espagne et du Portugal avec cet ensemble hautement stratégique pour l’avenir de l’Europe).
· Chine,
· Inde,
· Proche et Moyen Orient
· Afrique.
· Autres acteurs potentiels.
Dans chacune des situations il conviendra d’effectuer, à la lumière des principes de la géopolitique, une analyse des forces et faiblesses des relations de l’Europe avec ces différents acteurs et de proposer de nouveaux positionnements et de nouvelles relations ou coopérations stratégiques.
Il importera également de s’interroger, dans chaque cas, sur la vision géopolitique que chacun de ces acteurs porte en retour sur l’Europe.
III- Les vecteurs.
Il s’agit d’envisager, à ce niveau, l’ensemble des moyens qui doivent permettre à l’Europe la reprise en main de son destin et inventer un modèle de souveraineté protectrice, libératrice et anticipatrice.
Les Européens ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes pour survivre en tant qu’acteurs majeurs du bouleversement géopolitique en cours, mais ils n’en ont pas encore une claire conscience, tant ils paraissent saisis d’effroi et de désarroi par la situation inédite à laquelle ils sont confrontés. Cette attitude ne doit en aucun cas se traduire par une volonté d’isolement ou d’enfermement dans on ne sait quelle réaction obsidionnale.
La liste de ces vecteurs est inépuisable. On en isolera quelques uns :
· Monnaie,
· Défense,
· Espace,
· Energie,
· Culture,
· NBIC,
· Démographie,
· Etc…
Pour chacun d’eux des politiques et des stratégies communes de puissance, d’indépendance et de souveraineté devront être définies et mises en oeuvre.
A partir de ce schéma de pensée le Red Europea de Reflexion Geopolitica appuyé par différents partenaires en réseau devrait être en mesure de définir les contours et les objectifs d’un institut paneuropéen de reflexion géopolitique
IV- Programme et méthode.
Le projet de livre évoqué recemment par Xulio Rios et dont celui-ci a esquissé avec Jean-Paul Baquiast une première ébauche pourrait être croisé avec les idées qui viennent d’être évoquées. Nous disposerions ainsi d’ici la fin de l’année d’une plateforme qui permettrait de fixer les idées de notre « Red ».
Sur la base de cette plateforme dont le rôle pour la présentation et la promotion de nos idées serait essentiel deux actions pourraient être engagées rapidement :
· Rechercher quelques sponsors intéréssés par notre démarche afin de nous doter d’un minimum de moyens financiers,
· Organiser, sur nos positions, un réseau européen de laboratoires d’idées. Il existe déjà des organismes dispersés sur le territoire européen qui pourraient nous rejoindre. Nous en connaissons tous, qu’il s’agisse de centres de recherche, d’universités, de fondations privées ou d’entreprises etc…
Le « Red Europea de Reflexion Geopolitica » en se situant ainsi, avec ses différents partenaires, au coeur d’un « réseau de réseaux » constituerait alors l’organisme de préfiguration de ce futur « Institut de géopolitique européenne ».
Jean-Claude Empereur.
Janvier 2012.
Comentarios
Documents
Jean-Paul Baquiast
Martes, 6 de Marzo 2012
Il s'agit ici d'une proposition personnelle que je soumets pour accord et modifications éventuelles aux autres auteurs pressentis. J'y prend des positions politiques qui ne seront pas nécessairement acceptées par nos collègues. Il me semble cependant que l'agravation prévisible de la méga-crise mondiale suppose de prendre quelques risques intellectuels.
Prologue. Peut-on encore envisager une géopolitique européenne?
Par géopolitique on entend traditionnellement la façon dont un pouvoir politique prend en compte les critères géographiques ou écogéographiques pour mieux assurer sa puissance et son indépendance. Au 21e siècle, une géopolitique européenne supposerait qu'il existe une puissance européenne qui viserait à se renforcer par la prise en considération de facteurs géopolitiques trop souvent ignorés dans les décennies précédentes. Mais n'est-il pas irréaliste de penser qu'une telle démarche serait encore à la portée de l'Europe?
La question doit être posée face à deux grandes mutations de la vie économico-politique qui se manifestent à l'échelle du monde global et qui semblent condamner le concept d'une Europe puissante et indépendante.
Le système de la finance mondialisée
La première de ces mutations s'annonçait depuis des décennies, mais elle a pris ces dernières années une importance déterminante: il s'agit de la prise en mains de l'économie réelle localisée et des structures étatiques traditionnelles par des intérêts financiers mondialisés pour qui les structures nationales ou régionales (celle de l'Union européenne en ce qui nous concerne) ne sont plus que des coquilles vides. Des acteurs européens sont présents au sein de cette économie financière, ils développent des géostratégies favorables à leurs manœuvres spéculatives. Mais ils ne visent pas à renforcer la puissance et l'indépendance des Etats européens ou de l'Union européenne. Ils visent au contraire, sauf quand ils peuvent directement, corruption aidant, les utiliser à leur service, à diluer ces structures dont la persistance handicape leur volonté de domination mondiale. Ainsi, au lieu de participer à la construction d'une puissance géopolitique européenne, les institutions européennes ont été utilisées à niveler les identités, détruire les protections et ouvrir grande la porte à l'entrée des intérêts transnationaux.
Le discours désormais dominant de ce que l'on nomme le néolibéralisme mondialisé est que rien ne doit freiner le jeu de la compétition au sein d'un marché aussi large que possible. L'Europe dans cette perspective ne doit plus être une mosaïque de peuples, de territoires et de cultures dont on reconnaitrait les frontières et les différences afin de valoriser la capacité de l'ensemble à se grandir par la mutualisation. L'Europe doit devenir un rassemblement d'individus tous semblables, tous acheteurs de produits identiques, tous titulaires de crédits à la consommation qui les enchaîneraient aux organismes préteurs et aux forces de spéculation (les marchés) dont les centres stratégiques ne sont pas européens. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner du fait que les peuples européens ne se reconnaissent pas dans les institutions qui sont censées les représenter.
Il faut ajouter que les nouveaux pouvoirs financiers n'ont aucune volonté de lutter contre les inégalités, que ce soit au plan mondial ou dans chacun des Etats européens. Ils constituent une étroite minorité (1 à 5% de la population mondiale selon les estimations américaines possédant près de 90% des ressources mondiales). Ces chiffres sont indicatifs mais ils montrent bien les ordres de grandeurs. Une telle minorité transnationale, dite désormais des super-riches et des super-puissants fera tout, y compris par la force, pour conserver son pouvoir. Leurs représentants pratiquent évidemment la géopolitique à leur usage, usant de toutes les facilités que permet la disparition organisée des frontières et des régulations étatiques. C'est de leur fait que prospèrent dans le monde et en Europe même les paradis fiscaux et les pratiques de corruption et de criminalité économique à grande échelle.
Dans les Etats européens, les représentants de ces intérêts financiers transnationaux dominent les organisations étatiques, au triple niveau des institutions de l'Union européenne, des gouvernements nationaux et de nombres d'administrations régionales et locales. La crise économico-financière des années 2008-2010 n'a en rien diminué leur pouvoir. Après un moment d'adaptation, les forces dominantes se sont réorganisées pour contrer les vagues efforts de régulation étatique annoncés à des fins principalement électorales par certains gouvernements.
On doit se demander pour quelles raisons, en quelques décennies, le système de l'économie financière ou « virtuelle » mondialisée s'est substitué au capitalisme industriel et bancaire traditionnels. Ceux-ci n'excluait pas les abus en provenance des classes patronales, mais plus d'un siècle de luttes syndicales et d'arbitrages étatiques en avaient limité la portée. La généralisation du nouveau système a permis au contraire l'apparition de véritables prédateurs qui ont pu spolier sans résistance les travailleurs, les épargnants et les services publics. Ce sont ces prédateurs qui constituent l'internationale des super-riches et des super-puissants évoqués plus haut, ayant pris le monde entier en otage. Ils ont réussi, comme le montre bien l'ouvrage d'Hervé Juvin, « Le renversement du monde » Gallimard 2010, à obtenir la merchandisation de l'ensemble des biens et services fournis quasi gratuitement jusque là par les sociétés traditionnelles, dans le cadre d'un usage modéré des ressources naturelles. Tout dorénavant doit se vendre et s'acheter, sans considération des gaspillages et de la destruction des capitaux humains et naturels en résultant.
Or s'il y a bien derrière ces prédateurs des institutions et des personnages qu'il est possible d'identifier – sans d'ailleurs pouvoir les combattre car ils savent se mettre hors de portée – on peut difficilement leur imputer la responsabilité d'un complot mondial organisé. Ils se bornent à exploiter jusqu'à l'épuisement les ressources auxquelles l'évolution sociétale que nous qualifions d'anthropotechnique leur a donné accès. En nous appuyant sur notre thèse (Jean-Paul Baquiast. Le paradoxe du Sapiens JP Bayol 2010) nous dirions en effet qu'il s'agit de superorganismes associant des technologies proliférantes et des humains aux déterminismes génétiques encore très proches du règne animal. Leur développement sur le mode viral résulte à la fois de décisions relevant de la conscience volontaire, individuelle et collective, et de motivations primitives plus ou moins inconscientes. C'est ce caractère qui rend le système financier mondialisé difficile à
combattre par ceux qui en sont les victimes. Il s'agit d'un véritable écosystème encore très mal connu. Ceci d'autant plus que les automates boursiers qui en constituent dorénavant un aspect majeur sont en train d'échapper à leurs propres concepteurs.
Les Empires
Une deuxième mutation est toute différente. Elle résulte du fait qu'existent, à l'abri de ce discours mondialisateur et en contradiction avec lui, plusieurs véritables Empires dont l'objectif implicite est de dominer le monde et pour qui l'existence d'une Union européenne susceptible de se constituer elle-même en Empire afin de valoriser ses propres ressources représente un risque à combattre. Ces Empires se caractérisent par une volonté permanente de puissance, d'autonomie et d'indépendance. Il y a d'abord l'Empire américain. Il a pris naissance dès la fin de la première guerre mondiale et n'a fait que se consolider depuis. C'est lui qui s'est emparé après la chute de l'Union soviétique du discours néo-libéral et du thème de la mondialisation obligée, afin de l'étendre au monde entier. Mais il s'est bien gardé de se l'appliquer à lui-même. Sous des formes diverses, très souvent occultes, les intérêts impériaux (pour ne pas dire impérialistes) des Etats-Unis ont été imposés à l'Europe, à l'ancienne Russie communiste et à diverses parties du monde soumises par faiblesse à la Banque mondiale et au FMI (le « consensus » de Washington).
Dans le même temps, l'investissement dans une hyperpuissance militaire, la mise sous contrôle diplomatique d'un certain nombre de pays producteurs de ressources jugées indispensables, le soutien aux investissements des multinationales américaines dans le monde, combinés avec un fort protectionnisme économique dans les domaines stratégiques, n'ont jamais cessé. L'Empire américain subit aujourd'hui une crise, due en grande partie à des erreurs graves de jugement des décideurs politiques et économiques. Une partie de sa puissance s'est gaspillée dans des guerres inutiles ou mal conduites. Mais il serait illusoire de penser qu'il a renoncé à des efforts de domination, notamment à l'égard de parties du monde, telle l'Europe, qui n'ont pas compris la nécessité de lutter contre lui.
D'autres Empires cependant sont apparus dans le monde depuis une vingtaine d'années. Ils menacent désormais l'hégémonie américaine. Ils présentent des formes politiques très différentes, mais ils sont dotés d'atouts que l'Europe n'a pas. Ces atouts sont d'abord géopolitiques, en ce sens qu'ils résultent des éléments de puissance que confèrent la population et le territoire. Sur le plan démographique, l'Europe ne verra pas dans les prochaines décennies s'accroitre une population par ailleurs vieillissante. Au contraire, face à elle, s'affirment des ensembles géographiques vastes, dotés de milliards de citoyens, en augmentation constante. Certains de ces ensembles sont dirigés par des Etats forts ou par des institutions politiques veillant à garantir leur force et leur indépendance. C'est le cas de la Chine, dans un moindre mesure de l'Inde et dans une certaine mesure du Brésil. On mentionnera aussi la Russie, dont les adhérences européennes sont fortes mais pas suffisantes actuellement pour en faire un allié des Européens.
De toutes ces puissances, l'Europe n'aura évidemment pas à espérer de cadeaux. Le monde toute entier attend plus ou moins inconsciemment l'occasion de prendre une revanche sur les anciens colonisateurs et les anciens civilisateurs. Face à des Etats disposant de telles forces démographiques et décidés à utiliser toutes les ressources de la puissance, sur le mode américain, y compris sur le plan militaire, les chances de survie de l'Europe paraissent donc de plus en plus réduites. Ceci d'autant plus qu'asphyxiée par le discours libéral et mondialisateur imposé par l'Amérique, elle ne recoure pas elle-même pour son compte aux solutions de la puissance.
D'autres grandes entités sont plus diffuses au plan politique, mais elles constituent elles-aussi des puissances avec lesquelles l'Europe ne pourra pas éviter de se mesurer. Elles disposent elles-aussi des ressources de la démographie galopante et de grandes cohésions ethniques et culturelles. Il s'agit du monde arabo-musulman et de l'ensemble des sociétés sub-sahariennes. Le monde arabo-musulman, bien que rassemblant des composantes encore rebelles à l'unité au sein de l'oumma prêchée par les responsables religieux, s'opposera de plus en plus aux autres puissances géopolitiques. Il dispose des ressources du pétrole qui lui donnent momentanément encore une grande capacité de s'étendre, pacifiquement ou militairement. L'islam, religion en phase de conquête, l'armera dans son effort de pénétration des régions voisines, notamment en premier lieu de l'Europe. Les sociétés africaines, pour leur part, ne sont pas encore organisées en puissance géopolitique. Elles demeurent exploitées et manipulées par les autres puissances, y compris par ce qui reste en Afrique d'intérêts européens. Mais elles se transformeront en puissances de fait lorsque, sous la pression des changements climatiques, leurs populations chercheront hors d'Afrique, et notamment en Europe, des moyens de survivre. Aucune force ne résiste à des foules affamées.
Face au renforcement des Empires, qu'accélérera inévitablement l'extension des crises climatiques et écologiques, certains observateurs mettent leurs espoirs dans des mouvements de protestation interne nés apparemment spontanément au sein des sociétés occidentales. Cette protestation est récente, à peine émergente. Pour la plupart de ceux qui l'observent, et même pour beaucoup de ses acteurs, elle demeure encore un mystère. Il s'agit du mouvement dit des Indignés en Europe (en Espagne où elle a pris naissance), dit aussi Occupy Wall Street aux Etats Unis où elle s'est développé à l'automne 2011. Ces mouvements résultent du caractère de plus en plus insupportable, pour les 90% des populations qui ne se situent pas en haut des hiérarchies économiques et sociales, de la domination des riches et des puissants. Or ceux-ci se sont révélés, comme le montre la généralisation des crises économiques notamment depuis 2008, incapables d'assurer le minimum de développement organisé dont chacun pourrait bénéficier. Les Indignés de Wall Street manifestent non seulement contre leur propre paupérisation mais contre le désordre général de la planète imposé par le néo-libéralisme mondialisé. Ils rejoindront en cela les critiques légitimes des altermondialistes, actuellement en perte de vitesse.
La difficulté, pour ceux qui voudraient renforcer l'indépendance et la puissance de l'Europe, tient au fait que ces mouvements d'Indignés visent à changer l'ordre international, sans d'ailleurs proposer d'objectifs précis. Lorsqu'ils défendront des programmes de réforme (certains parlent de « sortie du Système » ), l'Europe n'y apparaitra sans doute pas initialement en tant que telle. Ce sera tout le Système du pouvoir mondial économico-politique qui sera visé – y compris sans doute dans les formes qu'il a pris en Russie et surtout en Chine. Les Indignés européens sauront-ils ou voudront-ils définir des formes de sortie du Système, à supposer qu'ils en soient venus jusque là, qui tiennent compte des spécificités européennes. Ceci serait indispensable pour mobiliser directement les populations européennes, notamment parmi elles les millions de jeunes qualifiés actuellement condamnés au chômage. Pour ces jeunes, ce ne sera pas seulement aux Etats-Unis mais en Europe que les changements devront survenir. Rien ne les laisse prévoir, y compris dans un pays comme la France qui devrait prochainement renouveler sa représentation politique.
Par géopolitique on entend traditionnellement la façon dont un pouvoir politique prend en compte les critères géographiques ou écogéographiques pour mieux assurer sa puissance et son indépendance. Au 21e siècle, une géopolitique européenne supposerait qu'il existe une puissance européenne qui viserait à se renforcer par la prise en considération de facteurs géopolitiques trop souvent ignorés dans les décennies précédentes. Mais n'est-il pas irréaliste de penser qu'une telle démarche serait encore à la portée de l'Europe?
La question doit être posée face à deux grandes mutations de la vie économico-politique qui se manifestent à l'échelle du monde global et qui semblent condamner le concept d'une Europe puissante et indépendante.
Le système de la finance mondialisée
La première de ces mutations s'annonçait depuis des décennies, mais elle a pris ces dernières années une importance déterminante: il s'agit de la prise en mains de l'économie réelle localisée et des structures étatiques traditionnelles par des intérêts financiers mondialisés pour qui les structures nationales ou régionales (celle de l'Union européenne en ce qui nous concerne) ne sont plus que des coquilles vides. Des acteurs européens sont présents au sein de cette économie financière, ils développent des géostratégies favorables à leurs manœuvres spéculatives. Mais ils ne visent pas à renforcer la puissance et l'indépendance des Etats européens ou de l'Union européenne. Ils visent au contraire, sauf quand ils peuvent directement, corruption aidant, les utiliser à leur service, à diluer ces structures dont la persistance handicape leur volonté de domination mondiale. Ainsi, au lieu de participer à la construction d'une puissance géopolitique européenne, les institutions européennes ont été utilisées à niveler les identités, détruire les protections et ouvrir grande la porte à l'entrée des intérêts transnationaux.
Le discours désormais dominant de ce que l'on nomme le néolibéralisme mondialisé est que rien ne doit freiner le jeu de la compétition au sein d'un marché aussi large que possible. L'Europe dans cette perspective ne doit plus être une mosaïque de peuples, de territoires et de cultures dont on reconnaitrait les frontières et les différences afin de valoriser la capacité de l'ensemble à se grandir par la mutualisation. L'Europe doit devenir un rassemblement d'individus tous semblables, tous acheteurs de produits identiques, tous titulaires de crédits à la consommation qui les enchaîneraient aux organismes préteurs et aux forces de spéculation (les marchés) dont les centres stratégiques ne sont pas européens. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner du fait que les peuples européens ne se reconnaissent pas dans les institutions qui sont censées les représenter.
Il faut ajouter que les nouveaux pouvoirs financiers n'ont aucune volonté de lutter contre les inégalités, que ce soit au plan mondial ou dans chacun des Etats européens. Ils constituent une étroite minorité (1 à 5% de la population mondiale selon les estimations américaines possédant près de 90% des ressources mondiales). Ces chiffres sont indicatifs mais ils montrent bien les ordres de grandeurs. Une telle minorité transnationale, dite désormais des super-riches et des super-puissants fera tout, y compris par la force, pour conserver son pouvoir. Leurs représentants pratiquent évidemment la géopolitique à leur usage, usant de toutes les facilités que permet la disparition organisée des frontières et des régulations étatiques. C'est de leur fait que prospèrent dans le monde et en Europe même les paradis fiscaux et les pratiques de corruption et de criminalité économique à grande échelle.
Dans les Etats européens, les représentants de ces intérêts financiers transnationaux dominent les organisations étatiques, au triple niveau des institutions de l'Union européenne, des gouvernements nationaux et de nombres d'administrations régionales et locales. La crise économico-financière des années 2008-2010 n'a en rien diminué leur pouvoir. Après un moment d'adaptation, les forces dominantes se sont réorganisées pour contrer les vagues efforts de régulation étatique annoncés à des fins principalement électorales par certains gouvernements.
On doit se demander pour quelles raisons, en quelques décennies, le système de l'économie financière ou « virtuelle » mondialisée s'est substitué au capitalisme industriel et bancaire traditionnels. Ceux-ci n'excluait pas les abus en provenance des classes patronales, mais plus d'un siècle de luttes syndicales et d'arbitrages étatiques en avaient limité la portée. La généralisation du nouveau système a permis au contraire l'apparition de véritables prédateurs qui ont pu spolier sans résistance les travailleurs, les épargnants et les services publics. Ce sont ces prédateurs qui constituent l'internationale des super-riches et des super-puissants évoqués plus haut, ayant pris le monde entier en otage. Ils ont réussi, comme le montre bien l'ouvrage d'Hervé Juvin, « Le renversement du monde » Gallimard 2010, à obtenir la merchandisation de l'ensemble des biens et services fournis quasi gratuitement jusque là par les sociétés traditionnelles, dans le cadre d'un usage modéré des ressources naturelles. Tout dorénavant doit se vendre et s'acheter, sans considération des gaspillages et de la destruction des capitaux humains et naturels en résultant.
Or s'il y a bien derrière ces prédateurs des institutions et des personnages qu'il est possible d'identifier – sans d'ailleurs pouvoir les combattre car ils savent se mettre hors de portée – on peut difficilement leur imputer la responsabilité d'un complot mondial organisé. Ils se bornent à exploiter jusqu'à l'épuisement les ressources auxquelles l'évolution sociétale que nous qualifions d'anthropotechnique leur a donné accès. En nous appuyant sur notre thèse (Jean-Paul Baquiast. Le paradoxe du Sapiens JP Bayol 2010) nous dirions en effet qu'il s'agit de superorganismes associant des technologies proliférantes et des humains aux déterminismes génétiques encore très proches du règne animal. Leur développement sur le mode viral résulte à la fois de décisions relevant de la conscience volontaire, individuelle et collective, et de motivations primitives plus ou moins inconscientes. C'est ce caractère qui rend le système financier mondialisé difficile à
combattre par ceux qui en sont les victimes. Il s'agit d'un véritable écosystème encore très mal connu. Ceci d'autant plus que les automates boursiers qui en constituent dorénavant un aspect majeur sont en train d'échapper à leurs propres concepteurs.
Les Empires
Une deuxième mutation est toute différente. Elle résulte du fait qu'existent, à l'abri de ce discours mondialisateur et en contradiction avec lui, plusieurs véritables Empires dont l'objectif implicite est de dominer le monde et pour qui l'existence d'une Union européenne susceptible de se constituer elle-même en Empire afin de valoriser ses propres ressources représente un risque à combattre. Ces Empires se caractérisent par une volonté permanente de puissance, d'autonomie et d'indépendance. Il y a d'abord l'Empire américain. Il a pris naissance dès la fin de la première guerre mondiale et n'a fait que se consolider depuis. C'est lui qui s'est emparé après la chute de l'Union soviétique du discours néo-libéral et du thème de la mondialisation obligée, afin de l'étendre au monde entier. Mais il s'est bien gardé de se l'appliquer à lui-même. Sous des formes diverses, très souvent occultes, les intérêts impériaux (pour ne pas dire impérialistes) des Etats-Unis ont été imposés à l'Europe, à l'ancienne Russie communiste et à diverses parties du monde soumises par faiblesse à la Banque mondiale et au FMI (le « consensus » de Washington).
Dans le même temps, l'investissement dans une hyperpuissance militaire, la mise sous contrôle diplomatique d'un certain nombre de pays producteurs de ressources jugées indispensables, le soutien aux investissements des multinationales américaines dans le monde, combinés avec un fort protectionnisme économique dans les domaines stratégiques, n'ont jamais cessé. L'Empire américain subit aujourd'hui une crise, due en grande partie à des erreurs graves de jugement des décideurs politiques et économiques. Une partie de sa puissance s'est gaspillée dans des guerres inutiles ou mal conduites. Mais il serait illusoire de penser qu'il a renoncé à des efforts de domination, notamment à l'égard de parties du monde, telle l'Europe, qui n'ont pas compris la nécessité de lutter contre lui.
D'autres Empires cependant sont apparus dans le monde depuis une vingtaine d'années. Ils menacent désormais l'hégémonie américaine. Ils présentent des formes politiques très différentes, mais ils sont dotés d'atouts que l'Europe n'a pas. Ces atouts sont d'abord géopolitiques, en ce sens qu'ils résultent des éléments de puissance que confèrent la population et le territoire. Sur le plan démographique, l'Europe ne verra pas dans les prochaines décennies s'accroitre une population par ailleurs vieillissante. Au contraire, face à elle, s'affirment des ensembles géographiques vastes, dotés de milliards de citoyens, en augmentation constante. Certains de ces ensembles sont dirigés par des Etats forts ou par des institutions politiques veillant à garantir leur force et leur indépendance. C'est le cas de la Chine, dans un moindre mesure de l'Inde et dans une certaine mesure du Brésil. On mentionnera aussi la Russie, dont les adhérences européennes sont fortes mais pas suffisantes actuellement pour en faire un allié des Européens.
De toutes ces puissances, l'Europe n'aura évidemment pas à espérer de cadeaux. Le monde toute entier attend plus ou moins inconsciemment l'occasion de prendre une revanche sur les anciens colonisateurs et les anciens civilisateurs. Face à des Etats disposant de telles forces démographiques et décidés à utiliser toutes les ressources de la puissance, sur le mode américain, y compris sur le plan militaire, les chances de survie de l'Europe paraissent donc de plus en plus réduites. Ceci d'autant plus qu'asphyxiée par le discours libéral et mondialisateur imposé par l'Amérique, elle ne recoure pas elle-même pour son compte aux solutions de la puissance.
D'autres grandes entités sont plus diffuses au plan politique, mais elles constituent elles-aussi des puissances avec lesquelles l'Europe ne pourra pas éviter de se mesurer. Elles disposent elles-aussi des ressources de la démographie galopante et de grandes cohésions ethniques et culturelles. Il s'agit du monde arabo-musulman et de l'ensemble des sociétés sub-sahariennes. Le monde arabo-musulman, bien que rassemblant des composantes encore rebelles à l'unité au sein de l'oumma prêchée par les responsables religieux, s'opposera de plus en plus aux autres puissances géopolitiques. Il dispose des ressources du pétrole qui lui donnent momentanément encore une grande capacité de s'étendre, pacifiquement ou militairement. L'islam, religion en phase de conquête, l'armera dans son effort de pénétration des régions voisines, notamment en premier lieu de l'Europe. Les sociétés africaines, pour leur part, ne sont pas encore organisées en puissance géopolitique. Elles demeurent exploitées et manipulées par les autres puissances, y compris par ce qui reste en Afrique d'intérêts européens. Mais elles se transformeront en puissances de fait lorsque, sous la pression des changements climatiques, leurs populations chercheront hors d'Afrique, et notamment en Europe, des moyens de survivre. Aucune force ne résiste à des foules affamées.
Face au renforcement des Empires, qu'accélérera inévitablement l'extension des crises climatiques et écologiques, certains observateurs mettent leurs espoirs dans des mouvements de protestation interne nés apparemment spontanément au sein des sociétés occidentales. Cette protestation est récente, à peine émergente. Pour la plupart de ceux qui l'observent, et même pour beaucoup de ses acteurs, elle demeure encore un mystère. Il s'agit du mouvement dit des Indignés en Europe (en Espagne où elle a pris naissance), dit aussi Occupy Wall Street aux Etats Unis où elle s'est développé à l'automne 2011. Ces mouvements résultent du caractère de plus en plus insupportable, pour les 90% des populations qui ne se situent pas en haut des hiérarchies économiques et sociales, de la domination des riches et des puissants. Or ceux-ci se sont révélés, comme le montre la généralisation des crises économiques notamment depuis 2008, incapables d'assurer le minimum de développement organisé dont chacun pourrait bénéficier. Les Indignés de Wall Street manifestent non seulement contre leur propre paupérisation mais contre le désordre général de la planète imposé par le néo-libéralisme mondialisé. Ils rejoindront en cela les critiques légitimes des altermondialistes, actuellement en perte de vitesse.
La difficulté, pour ceux qui voudraient renforcer l'indépendance et la puissance de l'Europe, tient au fait que ces mouvements d'Indignés visent à changer l'ordre international, sans d'ailleurs proposer d'objectifs précis. Lorsqu'ils défendront des programmes de réforme (certains parlent de « sortie du Système » ), l'Europe n'y apparaitra sans doute pas initialement en tant que telle. Ce sera tout le Système du pouvoir mondial économico-politique qui sera visé – y compris sans doute dans les formes qu'il a pris en Russie et surtout en Chine. Les Indignés européens sauront-ils ou voudront-ils définir des formes de sortie du Système, à supposer qu'ils en soient venus jusque là, qui tiennent compte des spécificités européennes. Ceci serait indispensable pour mobiliser directement les populations européennes, notamment parmi elles les millions de jeunes qualifiés actuellement condamnés au chômage. Pour ces jeunes, ce ne sera pas seulement aux Etats-Unis mais en Europe que les changements devront survenir. Rien ne les laisse prévoir, y compris dans un pays comme la France qui devrait prochainement renouveler sa représentation politique.
Le terme de Big Science désigne généralement celle qui fait appel à des équipement lourds, coûtant des milliards de dollars ou euros et demandant des années de mise en place. Ce sont ces équipements qui depuis un siècle et plus particulièrement depuis les dernières décennies, ont permis de transformer radicalement le regard porté par l'homo sapiens sur ce qu'il perçoit de l'univers. On pense le plus souvent aux programmes spatiaux ou aux accélérateurs de particules. Mais il faut y ajouter les observatoires terrestres de nouvelle génération, sans doute aussi les matériels qui se consacreront à domestiquer la fusion nucléaire.
Les critiques politiques de la Big Science lui reprochent d'être plus souvent orientée vers la conquête de nouveaux pouvoirs géopolitiques ou de technologies principalement destinées à la guerre. Ce n'est que sous forme de retombées tout à fait marginales qu'elle contribue à la production de connaissances « désintéressées » à destination universelle.
Mais le reproche est partiellement injuste. Plus exactement il méconnait le moteur qui semble inhérent aux systèmes anthropotechniques à portée scientifique. S'ils n'étaient pas imprégnés dans leut totalité par une volonté de puissance, de tels systèmes ne verraient pas le jour.
Pourquoi faudrait-il dorénavant en faire son deuil? Parce que la Nasa vient d'annoncer, urbi et orbi, que sous la contrainte des réductions de crédits fédéraux, elle allait sans doute renoncer à ce qui était présenté comme le phare de l'exploration spatiale des 30 à 50 prochaines années, l'exploration de la planète Mars. Ceci entraînerait dès maintenant l'interruption de la coopération en cours de négociation avec l'Agence Spatiale européenne. L'objet en était de mutualiser certaines ressources ou projets, notamment l'envoi sur Mars dans la prochaine décennie de robots plus efficaces et intelligents encore que les atterrisseurs martiens actuellement programmés. De tels robots auraient directement préparé la venue de missions humaines; En attendant, ils auraient pu répondre à des questions d'un grand intérêt en termes de connaissances fondamentales, relatives notamment à l'origine de la vie dans l'univers.
Bien évidemment, l'annonce de la Nasa a semé la consternation dans le monde scientifique. Si la Nasa et avec elle les Etats-Unis renonçaient faute de moyens à des programmes son seulement emblématiques mais réellement porteurs de progrès, qu'allait il advenir d'autres investissements scientifiques tout aussi importants?
Certains commentateurs ont dénoncé un effet d'annonce. Il est vrai que l'exploration spatiale coûtera aux Etats-Unis des dizaines de milliards par an, difficiles à trouver en période de récession. Mais ne votent-ils pas des sommes bien plus importantes quand il s'agit des budgets militaires? Ceci même si dans le même temps les crédits de département de la défense se voient plus ou moins amputés? Ils ne pourraient donc pas plaider un appauvrissement généralisé. Par ailleurs, l'initiative privée commerciale, très à la mode aujourd'hui, ne pourrait-elle pas prendre le relais?
D'autres observateurs font valoir que si les investissements spatiaux américains se trouvaient durablement réduits, les Chinois qui en font un enjeu stratégique essentiel, prendraient le relais. Ils y investiront les surplus d'une croissance qui ne semble pas se ralentir. Au vu de quoi d'ailleurs, rigueur ou pas, l'Amérique ne restera pas passive, peut-être rejointe en cela par l'Europe, la Russie et l'Inde. On pourrait espérer en ce cas que les Chinois ne garderaient pas pour eux la totalité de leurs découvertes et en feraient bénéficier la communauté scientifique.
Plus généralement, on fera sans doute valoir aussi que des découvertes tout autant importantes pourront se poursuivre, dans le cadre de budgets infiniment moindres. C'est le cas en intelligence artificielle, en biologie synthétique, en neurosciences et dans bien d'autres domaines.
Un pessimisme beaucoup plus systémique
Il semble cependant que l'écho donné en Occident à la décision de la Nasa traduit un pessimisme beaucoup plus systémique. Il découle de la généralisation et de la globalisation des crises qui semblent menacer dorénavant le monde entier. Nous avons parfois relayé ici un sentiment de plus en plus répandu. Selon ce sentiment, la science et avec elle les technologies scientifiques ne pourront plus dans l'avenir répondre à tous les espoirs spontanément mis en elles jusqu'ici. Le développement exponentiel des consommation découlant de l'inflation démographique et des inégalités dans la croissance se conjuguera avec une diminution sans doute elle aussi exponentielle, des ressources disponibles. Les sociétés seront de plus en plus forcées de préférer les activités de survie à celles visant à augmenter les connaissances, quels que soient les coûts induits à terme d'une telle renonciation.
Dans le même temps se multiplieront les croisades antiscientifiques menées par les religions monothéistes dites du Livre.
Comme l'a écrit il y a quelques jours un journal scientifique, l'annonce de la Nasa préfigure le temps où les chercheurs ne pourront plus désormais, faute de ressources, se lever tous les matins en s'interrogeant sur ce que la journée à venir leur donnera peut-être la chance de découvrir. Autrement dit, bien avant que la planète ne subisse inexorablement la détérioration des conditions ayant permis chez elle l'émergence de la vie et de l'intelligence, associées avec un constructivisme sans pareil, ne va-t-elle pas désormais connaître des régressions de toutes sortes, préalables à la généralisation du grand froid cosmologique?
European Network of Geopolitical Thinking
Eduardo Martínez
The European Network of Geopolitical Thinking, established in April 2011 on the Isle of Thought, Galicia (Spain), aims to contribute to the positioning Europe in the new global geopolitical context.
La reunión constitutiva de la Red Europea de Reflexión Geopolítica tuvo lugar del 26 al 29 de abril de 2011 en San Simón, Isla del Pensamiento, Galicia, España.
Network Members
Geoeconomía. Blog de Eduardo Olier
Conocimiento. Blog de Fernando Davara
Inteligencia. Blog de Fernando Velasco
Lasts Notes
Vers une fracture au sein de l'Otan
20/05/2014
Newropeans, une démarche à suivre
20/05/2014
PUISSANCE ET SOUVERAINETE
20/05/2014
Files/Archives/Archivo
Red Europea de Reflexión Geopolítica.Réseau Européen de Réflexion Géopolitique.European network of geopolitical thinking
Tendencias 21 (Madrid). ISSN 2174-6850
Tendencias 21 (Madrid). ISSN 2174-6850


